Donc me voilà encore une fois,
Me voilà, du jour au lendemain, propulsé dans le service des urgences comme brancardier dans la communauté de communes de Chartres, sans avoir le temps de m’y préparer mentalement. Je retourne brièvement chez moi, informe ma compagne que je ne serai pas là ni ce soir ni cette nuit, et me prépare à affronter ma première soirée, plein de doutes. En arrivant, je me sens comme un chat mouillé, un peu désorienté. Heureusement, deux brancardiers me prennent sous leur aile. Avec cette vitesse d’exécution, je comprends vite que je dois tout donner sans laisser paraître mon inexpérience, car les patients, déjà fragilisés, ont besoin de confiance et de présence rassurante.
Et là, commence l’épopée de la souffrance physique. Chaque nuit, des dizaines de kilomètres parcourus à transporter des patients pour des examens à une vitesse quasi lunaire : scanner, IRM, radiographies. Mais être brancardier, c’est aussi jouer le rôle de coursier, faire des allers-retours incessants pour amener les prises de sang au laboratoire. Parfois, on se retrouve à transporter des patientes en gynécologie ou en maternité, souvent à l’autre bout de l’hôpital, toujours au pas de course. Une cadence épuisante.
Histoire de corser le tout, en plus de transporter les patients pour des examens, il fallait également déplacer des personnes alitées vers d’autres services spécialisés pour libérer les lits en hospitalisation d’urgence. Cette tâche était non seulement très physique, mais aussi délicate, car les patients étaient souvent perfusés, sous oxygène, etc. Et pour bien boucler la nuit, il fallait parfois assister au déchoquage, où les cas les plus critiques étaient traités en priorité. Là, les patients n’étaient généralement pas dans un très bon état… d’après mon jargon de “badboy”.
C’est à ce moment précis que l’intensité du travail commence à éveiller tous tes sens, surtout dans l’approche du patient. Selon leur état, que ce soit une détérioration physique ou psychique, tu te retrouves face à une réalité parfois impuissante. Inconsciemment, tes sens s’aiguisent ; tu deviens plus attentif à chaque signe de détresse, de souffrance. L’impact est autant physique qu’émotionnel, te mettant constamment en alerte, comme si ton esprit et ton corps s’adaptaient à ce nouvel environnement exigeant et complexe.
Et comme si cela n’était pas assez complexe, les cas d’alcoolisme extrême, les troubles psychiatriques, et d’autres pathologies non urgentes saturent les urgences. Ces personnes, qui devraient être orientées ailleurs, finissent par perturber le bon fonctionnement du service. Cela épuise les soignants, dilue les ressources et fait parfois passer les vraies urgences vitales pour des événements banals. Tout cela dans un contexte où le manque de médecins se fait de plus en plus sentir, surtout dans les zones urbaines
Étape spirituel
Après des mois d’une cadence infernale, je me retrouvais parfois seul à gérer les quatre services de brancardage, certaines nuits ressemblant à un champ de guerre, un terme encore trop faible. Dans ces moments de colère interne, de dégout, ou d’abandon moral, j’ai ressenti une forme d’élévation spirituelle. Parfois, en croisant du regard un patient au bord du désespoir, une force invisible m’attirait vers eux. Leurs auras émettaient des signaux de détresse, comme un radar spirituel, et je sentais qu’il fallait apporter plus que des soins : une présence bienveillante.
Une présence bienveillante, ou un réconfort discret, était parfois tout ce que je pouvais offrir à ces âmes dispersées, comme sur un champ de bataille. Soulever des patients blessés, victimes d’accidents, sans aggraver leur douleur, devenait une épreuve à la fois physique et spirituelle, comme un chemin de croix où mes erreurs passées me revenaient à l’esprit.